défaite du rêve

« Pratiquement : ne pas raconter, pour leur étrangeté de surface, qu’aimaient les surréalistes, le tout-venant de ses rêves, mais, écrivant sans pour autant vouloir tenir compte de la causalité ou de la logique, se donner la même liberté d’association que le travail inconscient ordinaire »
Yves Bonnefoy


prolonger par un nouveau texte : Le visage

chromé sur les ailes, tronc de cône toujours seul,
mutant des frises en nocturne bouclé dans la boîte à lumière,
Pourquoi s’avance, toujours seul,
avec des couleurs de nuit fraîche à mi-pente de sa robe,
sous les volants la machinerie des treuils muette,
ses contrepoids de catastrophe qui traînent jusqu’aux rampes la lourde conque et ses tambours,
ô fixité du masque,
abouché au vide par les trois trous du silence,
extatiquement –
sur les joues le funéraire des roses, image par image,
– albâtre des tertres –
renvoie au vertige des vases qui embaument les chambres,
où cour et jardin s’effacent –
au baudrier pendent les scalps et les rétroviseurs extérieurs, avec couteaux de famine pour trancher des beaux visages le repos même,
l’endroit de leur beauté,
où la parole se reflète mais ne garantit plus rien,
du oui ou du non et de la date,
affichée sur le front des vieillards
murés dans tous les jeunes fronts,
et la cataracte fuit par dessous les paupières,
coule,
comme des larmes prises à l’essai jusqu’aux premiers froids, quand les mains gantées d’arthrose applaudissent leur automne dans les feuilles sèches,
de la scène,
où s’avance Pourquoi,
en robe de fer,
personnage vivant comédie héroïque,
manteau d’Arlequin et maquillage blanc –
sa gestuelle kabuki le précède,
cadences millimétrées saccadées inquiètes,
et l’incendie le suit,
qui prend mesure là-haut dans les cintres,
des faux plafonds, décors, herses,
plateaux à breloques dont les araignées de campagne
rêvent,
dans le rêve,
leurs boussoles affolées perdues d’avance –

de l’autre côté cette douceur, ce frôlement,
petite peur,
à mi-chemin réveillée,
au bruissement des draps secouée,
chassée du rêve,
sous les lèvres,
quand le mot lèvre s’ouvre tout ce qui s’ouvre savoir ce qu’on a, ce petit espace quoi, son âme, un petit espace illimité de vie quand le mot lèvre s’ouvre ce qui s’ouvre, effleurer l’autre savoir, ce petit espace endormi là dans le noir dans la mécanique nocturne du kabuki des lèvres quand le mot s’ouvre sans autre mot qui ferait lien, ne touche pas, ne bouge, n’atteint, ne se livre encore, au rebord du presque tout ce rêve des lèvres, écartement doucement pressé inclusion réciproque par glissé fondu qui chavire, repris, ramassé, mouillé, ne demandant qu’à être là, suspendu, souple, continuant d’être

Pourquoi seul,
dans les cagibis sous les combles sur la scène,
toujours là où les paravents oppressent une pauvre lumière, une petite volonté qui crache le sang alors que le souffleur dans l’isolateur de verre, sature d’acide une traversée de l’Amérique toute rouge,
avec des singes,
des Mack à perdre haleine, des Kenworth des Peterbilt qui n’ont ni fin ni cesse, comme la mort ça vient toujours,
ce rugissement,
dans les tubes du bras lié écorché sur le lit les plumes de l’oreiller du meurtre –

appelé de profond, chassé du rêve, le souci de noter des lèvres l’impossibilité d’être là encore tout de suite dedans, le petit espace de peau pas encore en bouche, immédiateté chaude sensitive érectile qui monte différée dans le prononcé même du mot « bouche », délice, à bouche répétée pour ce « ou » qui traîne humide dans la chute, quand même un peu en arrière meurt sur l’apex de la langue, un peu, assez pour ouvrir la bouche, qui n’en finit pas de se prononcer

Pourquoi s’avance, ne répond pas, ajourne la délivrance,
la bloque entre les vivants et les morts sous la robe de fer,
où elle se perd,
avec la beauté, la mémoire de la beauté des beaux visages où la parole se reflète,
si ce n’est cette bouche, celle même qui ne dit pas pourquoi, qui les prononce avec toutes leurs lettres,
délivrance, beauté,
en détaille la nudité parfaite –
Pourquoi s’avance, seul, rêvant pour son compte,
ne répond pas, est sans réponse : danse géométrique
aux chevilles, poignées, cou, grande cavité sigmoïde
cassés : les flammes étonnent les yeux fixes –

toutes lèvres ouvertes,
défaite du rêve,
langue fond avec sa bouche : petit espace de peau grandit, dans la mise en mouvement qui recommence, puissante, des corps
défaite du rêve, clos


LES MOTS-CLÉS :

© Michèle Dujardin
1ère mise en ligne et dernière modification le 22 mai 2011
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