ici

« L’espace du paysage exclut toute référence topographique ou historique. Il est sans coordonnées ni repères. Pour se trouver en lui il faut être perdu. »
Henri Maldiney

« Dans l’espace du paysage je suis perdu au monde entier, ce qui veut dire perdu au milieu du monde perdu. »
Henri Maldiney


prolonger par un nouveau texte : Londres

ici, espace en forme de jets, de déchirements – de questions – pierre hautement tenue, fixe, dans le bruit millénaire de son effondrement : montagne si usée, orgues, coulées en suspens dans le froid, sur la face la plus lumineuse de l’air

noir des arbres dépouillés, arrimés au bleu : cri d’oiseau saignant le grand ouvert, où la profondeur est sans écho

ici, pétrifiée, musculeuse, substance feu : brun-rouge, lourdes torsions d’un drap, pour l’éternité, qu’on essore

le pas enregistre, dans sa lutte contre la pente, ce glissement doux des socles, qui donne au vertige, un son cristallin – de lave ce qui reste, ce fleuve sec, déchaussé par le temps

ici, terre ravagée d’hiver, houle de buissons courts, blanchis, touffes rêches dans la boue : seul le renard, parmi la vague

ici, bas fond trop humide, gagné par la tourbe : épaule d’eau défaite, répandue en cheveux, des traces de bête blessée s’y perdent – comme des mots errants expulsés de la langue : ici, le front se casse contre la langue-pierre – l’intime s’échappe, la pensée – les faces de basalte ne répondent jamais, elles réfutent l’appui, la saisie – la description – le regard qui s’abîme en elles, est renvoyé au vide sans mot, à l’éblouissement atone – ici, du temps mort, on marche lentement sur le squelette épars

chambre noire du froid, rayonnante : hommes restent seuls dans leur neige – les voix raidies du vent raclent une sifflante grise, toujours la même

ici, les chiens surveillent le vide, retournent d’un geste aux anfractuosités, aux décombres – la ronce force le village – l’arbre s’échappe du toit de lauze – des murs tombés, les gestes quotidiens des hommes se détachent, rendus aux friches, à l’éboulis – perchoirs des grands corbeaux, les châssis disloqués des fenêtres - ces ruines noires sur la pente, avec, au coeur du brûlis, des éclats de pavage et de charbon mêlés, dénudés jusqu’à la craie la plus fine – on y voit de l’illisible : lignes brisées, volumes qui s’affrontent, plans qui vacillent – des formes toujours tristes, nouées, du souvenir – seuils et âtres de ces maisons dans le rêve, où nous devons contre le feu ouvrir des pièces nouvelles

ici, lande au plein du vent, courant sur son erre vers les gorges – à mi-pente, quelques résineux maigres, ramassés : ils ont du vent la forme basse, plaintive, chargée de grésil – mais ce gris têtu des rocs, sous le déferlement des ciels – dans les fermes, il semble que l’on n’attende rien – les machines rouillent - on ne voit pas les hommes – ici, il n’y a pas de rencontre, c’est une terre d’éloignement : tout s’écarte de l’autre

ici, horizon lourd avalant le plateau, sa longue table aux sacrifices, comme sciée de neige – forêt close, d’un bloc, nuits plantées drues sur l’escarpement : rien qui vive là, dans le réseau de ravines que les eaux incisent, sous le couvert d’aiguilles, de branches mortes – le pas est difficile – tout fuit vers le torrent, ses ponts de glace empâtée de boue

hostile beauté de ces parages sans monde : pourquoi l’être dans ce qu’il a de plus blessé, de plus orphelin, trouve ici précisément, un asile ?

ici, dans la pierre surpeuplée de silence

 

Ici a d’abord été accueilli dans le Semenoir de Maryse Hache dans le cadre des Vases communicants.

LES MOTS-CLÉS :

© Michèle Dujardin
1ère mise en ligne et dernière modification le 19 mars 2011
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