Intérieur nuit

Nous n’avons pas à résister.
Insister seulement.
Creuser le noir.
Paul Celan.


prolonger par un nouveau texte : les îles | 2

reine et sujet du film – bien plus que la jalousie, ou la montée de la folie – la nuit est contemplée de l’intérieur de l’être, comme un mouvement, une fascinante marée qui envahit les espaces du dehors et du dedans - dehors si âpres, si pauvres de vie déjà quand les corps s’y épuisent – périphériques, parkings, couloirs, bureaux – matin et soir, soir et matin de toute une vie d’homme à la gagner si peu, que ça ressemble plus chaque soir, chaque matin, à se perdre avec elle corps et biens - dedans si déchirés, pleins de trous, et la complication d’aimer l’autre, quand il n’est qu’un soi malade que l’on porte comme un écran, une protection dérisoire à bout de bras au devant du monde

la nuit, alors, avance, devient la texture de l’air, des matériaux et des existences qui s’y lovent, et le temps est une nuit qui se traîne, déborde largement sur le jour qui ne connaît plus que le néon pour éclairer, mettre au jour, ses intérieurs ultra violents

volontaire, omniprésente, comme une femme silencieuse bottée et sanglée de noir, la nuit marche à grands pas dans ces territoires qui n’ont de recours que le repli autiste sur leur béton, leurs barres leurs saillants, leurs balcons d’où l’on peut s’envoler vers les bouches de lumière voraces qui filent en bas très loin, mais où ? peut-on fuir cette même nuit que l’on réchauffe dans son sein, que l’on nourrit dans sa tête, qui s’y nourrit des chagrins des autres engrangés à n’en plus pouvoir, car le vif est nu dans son enveloppe qui s’effrite, poreuse à toutes les détresses humaines ?

film de la nuit, ses doubles, sortant des corps pour se regarder à l’infini multipliés dans les reflets des vitrines, que des faux jours, des décharges électriques dissèquent, éventrent sur le trottoir

splendide, en femme forte, fragile, qui affronte dans les yeux de la nuit son propre effondrement, quoi qu’il arrive, nuit dont elle reste la reine, dans le noir, splendide Dominique Blanc


à propos L’Autre, de Patrick Mario Bernard et Pierre Trividic



© Michèle Dujardin
1ère mise en ligne et dernière modification le 20 juin 2009
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