L’écrire : lieu

le mot n’est plus mot ; c’est une terrible chute dans le silence ; il ôte le souffle
Paul Celan


prolonger par un nouveau texte : Heure au marteau, à mer basse

car l’écrire est un lieu intensément fermé sur ses blessures – il n’en délivre que l’obscurité, le plus pauvrement illisible : la paume d’un mendiant avec son vide, et ses ailes portant le ciel du deuil

ses blessures : non mots qui parlent, comme brises, clapotis, redites, mais lit de douleur ayant à l’attache sa propre langue folle, chose-même de mots, qui la traversent sans parler

avec ses veines ouvertes, ses lèvres, loin au fond l’écrire-lieu, se déplaçant, coule noir, un vin de frimas sans terre, ni passage des saisons et des bêtes, juste la bave, sans commencement, le bégaiement salé sous le pressoir

nuit rare, où l’écrire soudain ménage un espace très étroit, un irrespirable où tu épouses les blessures, les pénètres langue dressée, affamée, lèches leur suintement d’avant le verbe – un éclair, alors : ce qui de cet accouplement demeure de traces, sang, brûlure, sanie, colle à ta peau, rouvre ton corps en rêve, à sa mémoire d’ancien mort

et, à nouveau, tu es à la porte – fine pellicule, avec son au-delà tout en blessure, en sang – à la porte, hors d’écrire, seul le corps avec ses taches, stigmates de l’étreinte fulgurante, en ce centre inconsolable, et cet exil comme legs, béant, qu’il faut emplir de souffle – le mystère est un, indivisible – jamais n’en détache une écaille ces grouillements de mots qui parlent, habillant la multitude des écrits d’une nudité extrême : écrire, avec ses corps et ses biens, n’atteint jamais l’écrire – juste il sombre, comme rien

et dans la bouche de l’écrire, sonne l’écho des cris qu’apportera le vivre, plus tard, dans ses bagages de lutteur – les mots sont à demi sourds, sans lignage, tendus sur la langue dans la salive et le noir : ils ne déchiffrent ni n’interprètent, ils parlent – l’écho, ils en recueillent la rumeur qui finit, un reflet d’eau – l’écrire est tapi dans l’impuissance des mots : il élève haut, à la lumière, la structure en effondrements, absences, déchirures, des vrais textes de ce monde – ceux dont la plénitude est en creux, inviolée, entièrement tournée vers la voix que l’on n’entend pas


LES MOTS-CLÉS :

© Michèle Dujardin
1ère mise en ligne et dernière modification le 4 décembre 2009
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