Fatigue

“plus nue que bleu l’écorché le navire, la nuit…”


prolonger par un nouveau texte : les îles | 3

étal en plein vent où personne ne passe, ni chats ni rats pas même un aveugle, pas même un clou, un chou un caillou quelque chose, mais ce froid en plein vent ça décoiffe les pauvres – ont les mains qui brûlent, les yeux qui pleurent, les jambes qui gonflent, à battre la semelle et les côtes des coudes, à danser d’un pied sur l’autre, aller retour clopin-clopant le dos rond dans le vent – petit étal frileux mal arrimé aux planches, personne ici ne passe, où reculent les rues les sentes les pistes, même les impasses fuient ce coin à crues, inondations, fuites, caniveaux pour invendus livres plaquettes recueils, poèmes et autres, sans vie ni connus ni vus ni ouverts, seuls, mais écrits, là quand même au froid, sans rien sous la dent sur le corps qui se gèle, s’étiole se pèle, se replie sur ses pages et les pages sur leurs mots, ah ! les mots dans le noir, si bavards si grouillants, si présents et si morts si riches mais de quoi, comment savoir – dites-moi cette attente, ce fer, ce poids extrême de lumière au fond qui fait mal – à quoi ça sert et servir, ça veut dire quoi, ça veut dire A quoi, savoir Quoi, servir à savoir ça, peut-être, au fond, à la lumière, que les mots sont la peau et les os posés là à côté de soi et après ? qui ça bouge ? qui ça touche ? qui ça inquiète ? puisque rien ne passe en ce lieu, ni feu ni lieu ni adresse, ni voix, que des cliquetis de mots sur la planche, qui s’en vont par dessus bord droit devant au supplice, ouf c’est la mer enfin on va dormir, pas si simple, car malheur au dormeur quand ça dort les rêveurs ça rêve, en mots, qui découpent le corps en petites peaux petits os, qu’il faut écrire en plein vent – les pauvres décoiffés avec leurs rides, leurs rhumes leurs douleurs – pour que matin ait des jambes, des lignes à noter le temps qui est un jour fou, vieux comme le monde, proférant des images hérissées de dards, sans effacement ni retour en arrière, et tremblées pour que les yeux s’y blessent, et leur volonté les pauvres, de parcourir les registres, où leur nom serait là, très visible entre ses dates, malheur aux mots qu’il faut écrire, parce qu’ils sont là, pour que matin soit un jour, un vide en bout de banc décoiffé sur l’étal, un livre jamais vu jamais lu délivré du titre, de la page du mot, rien que du vent et qu’on aille dormir, au dispensaire d’ombre entre deux eaux, deux planches deux draps, où on ne rêve pas, on écrit qu’on rêve ce qu’on lisait quand on écrivait, des rêves de soi en écrivain de livres, par exemple, des vrais, avec vitrine et libraire et lecteur à l’abri, avec temps et force, ciel ivre et grands espaces, pour le chant, la parole, au moins sa respiration, son ouverture, au moins juste, sa POSSIBILITÉ


LES MOTS-CLÉS :

© Michèle Dujardin
1ère mise en ligne et dernière modification le 20 avril 2009
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