Le plateau

« partageant tous une douleur
       unique
       et la gardant
       pour soi, jalousement »
Claude Esteban


prolonger par un nouveau texte : parcelle basse creuse

à Nathalie Holt

 

Ramassé, le causse puissant, là-haut,
hurlant une faim démentielle : front de taureau, toute la bête lancée,
terre
meuglant l’effondrement qui la mine,
depuis toujours.
Le pas brise l’eau, la boue s’éclaire,
dans les plis du froid je vois des ailes forcées, déchiquetées.
La pesanteur opiniâtre, les couloirs dénudés, tout ce pauvre excédent où flottent
des guenilles
glaciaires,
des lèvres aux commissures noires
comme des pierres sciées
avec sourires vieux,
piqués
de brindilles,
d’aiguilles,
d’écume
de neige
frêle.
On est poussé,
on aime simplement.

Le ciel boit, accroupi dans l’ornière,
par les taillis évidés les gris sont combles : un deuil sec, monotone.
Je pense dans la paille de fer, les cristaux, les pétrifications, les poussières,
je tourne sans rythme au vent d’un rêve
irrespirable,
sa hache sur ma joue,
maintenant que la nuit tombe.

L’assaut d’hiers violents écartèle la marche,
on se souvient.
Les nords tombent dru
de leurs horizons blancs
et sur le bord défendu se défont des rouages,
ici et là,
comme d’être seul,
cette branche sous les degrés de neige,
endormie,
hors d’atteinte.

Je lutte,
je vacille,
le pont mouvant de tourbe
mollement respire,
spongieux,
et sur la vague
le pied manque,
même lorsqu’on veut être là,
debout,
unique desservant
d’une divinité obscure
et si je tombe
les mots gourds
sont à nu,
pêle-mêle,
sans feu ni lieu.

À quoi dans ces pacages en ruine
me servent
l’arbre nu,
les barbelés couchés
dans un brouillard de laine,
les piquets mordant l’infini sans fenêtre
et ces balises dans le courant rugueux,
roses de pierre
cassée,
qui affleurent.

Maigres marges,
replats où les bêtes ont fouillé,
en vain,
dans les traces profondes
on entend leur souffle,
leur faim.

Rage muette des pierres
qui ne peuvent pas mourir : je la cueille dans leurs yeux,
au ras du sol
la nuit monte étrangère,
le vent porte le corps en terre
et la terre,
il l’ensemence de crocs.
Dans mon cou le grésil
brûle
sa limaille.

Où le plateau m’emporte,
de plein fouet sous son joug me tenant immobile,
je ne sais,
je ne vois que l’épure,
les arènes hostiles moutonnées par l’usure,
les restes lavés par la folie du vent et la désaffection de la terre.
Je ne vois que l’hiver
qui déracine
les mots.
Et montant toujours
avec la nuit,
je reconnais
jusqu’à l’insoutenable,
familier,
sans distance,
là,
ce que je cherchais.

 


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1ère mise en ligne et dernière modification le 10 février 2020
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