la passante

« Quand tout sera gelé, si cela arrive, on pourra dormir. Se maintenir est épuisant. »
Antoine Emaz


prolonger par un nouveau texte : marché par le socle

Une poussière qui fait chemin, la nuit, une page avec des cendres devant soi où tracer les ronds, les petits bâtons, les petites croix sans nom les petits crissements de glace qui se déchire dans les voix au seuil d’un sud plein d’éboulis et de ravines, l’immense cité portuaire antique ouverte, on dort, sans doute dans les chênes tors, lucioles et micas prisonniers des paupières, aux marges dures d’un petit vivre maigre où des pointes blessent, arguties, lésine, revirements, un résidu fini des liaisons du monde : l’âge qui tombe. C’est dire peu mais aussitôt des bouts, le feston, l’ourlet, la rue assourdissante : la passante occupe le mouvement violent du rêve, l’entaille est récente, les draps profonds, le deuil extravagant : le corps se retourne, un peu d’enfance file dans la nuit sèche éclairée d’une épaule, de girandoles fruitées qui fondent dans la paume mais le lieu insituable reste béant, illégitime et sans bords, dans le vent ocre péniblement le bleu survit aux grammaires, aux trottoirs, aux neiges durement enkystées dans le sous-sol de toile, les croûtes aux genoux saignent sous l’ongle sale jujubes et glands nous servent d’osselets, et des périphéries aux aguets glisse le petit matin : toi que j’eusse aimée, ailleurs, bien loin d’ici

Une agora polie jusqu’au point d’infini par la respiration du verre, paquebots déserts et masse des docks neufs reculés sous la dentelle de mer fine : au voisinage, la sidération où tout vacille et le trouble désastre du neuf, dalles battues d’un incognito irrespirable où la plage est perçue de façon distraite, les oiseaux-pêcheurs rompant des claustras la salure, ce béton noir là-haut chantourné d’yeux multiples mais dans le maquis d’arabesques quelques passages sûrs : le ciel à l’est et le frémissement de lave, le rappel des calanques à petits puits de galets comme une gelée aux midis lacustres, mégaphone tonnant sous les piliers de bois, la véranda écaillée tangue de toutes ses fissures un petit effort encore et on nagera loin dans l’écume qui naît, qui subjugue, dans ce précipité d’irrémédiable on finira de chercher, de rappeler nos arrières, tout s’évidera devant soi la colline décharnée la rivière à sec encombrée de cailloux les cabanons du soir, la noble statue vers la mer dans le peignoir de bain, bleu pâle ouvert sur les seins, au soleil comme longue, majestueuse, la douleur qui fascine, admirable sur la mer figée le profil, scellé, tendu net et d’un trait, ailleurs, l’hiver trop lourd ici sans rien pouvoir dans ces bris ce crachin de sommeil effondré, aujourd’hui quelque chose précieux dûment sacrifié : la jetée de calcaire plongeant dans la faille ouverte, une armoire explosée dans un passé lointain et la femme du coup s’effaçant par le feu : douce l’enveloppe, perforée, couchant doré perforé ensanglanté gong sourd d’un printemps nucléaire, les sirènes qui cessent, qui ne cessent pas, trop tard renaître dans ce regard perdu : cela tient à un fil, un souffle, une plongée, une poussée de maladie chronique quelque chose ici-bas de la trame empierrée de l’enfer, mais la passante incomplète lutte sans mots, les notes implacables ne revendiquant que le vide, le confort, le coussin des années où dormir, dans la marge d’un chant usé rayé de marbre et de porphyre, ici, car de tous côtés la basilique cingle sur l’arrondi du fort, flux et reflux insipides de ténèbres oxydées, avec leur suie et leur nuit, sous les voûtes, nos bougies à la main les ombres le noir poreux des cache-cache vigiles, les tombes en latin : nous n’étions pas sérieux, la passante plus tard plus près de l’eau pieds nus sur le coton des cistes subissant le grelot des morts, le naufrage des îles, le débraillé des vagues, le disparate aveuglant des gestes inutiles quand il n’y a rien à voir, vraiment plus rien, la passante ayant cessé d’écrire : sauve dans son oeil la beauté, insondable, fugitive, nous retournons y boire comme des condamnés


LES MOTS-CLÉS :

© Michèle Dujardin
1ère mise en ligne et dernière modification le 20 juillet 2016
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